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Sunday 12 July 2015

Georges Bataille | "Excédents d'énergie dus à l'action du soleil", dans L'Économie à la mesure de l'univers

Il ne m'est pas difficile de capter l'énergie nécessaire à ma vie. Je dispose même d'habitude d'excès appréciables et dans l'ensemble au moins l'humanité dispose d'un immense surplus.
Mais c'est une erreur d'attribuer comme on fait d'habitude notre excès de richesse aux récentes inventions, au développement de l'outillage moderne. La somme d'énergie produite est toujours supérieure à celle qui fut nécessaire à sa production. C'est le principe de la vie, que vérifie généralement l'activité des végétaux et des animaux. L'activité productive d'un végétal peut être envisagée d'un côté comme dépense d'énergie, de l'autre comme acquisition. Si l'acquisition n'était pas supérieure à la dépense, aucune plante ne pourrait croître. Il en est de même chez les animaux (la croissance animale est plus difficile et suppose souvent l'assistance d'adultes : en ce cas l'ensemble des adultes-animaux en bas âge dont la masse s'acroît). Cette loi fondamentale de la vie n'est pas surprenante. Les sommes dépensées utilement permettent à la vie de capter l'énergie solaire et celle-ci procure aisément les excès du monde vivant.
Ce sont les parties vertes des plantes de la terre ferme et des mers qui opèrent sans fin l'appropriation d'une part importante de l'énergie lumineuse du soleil. C'est par cette voie que la lumière - le soleil - nous produit, nous aime et engendre nos excès. Ces excès, cette animation sont l'effet de cette lumière (nous ne sommes au fond qu'un effet du soleil).
Pratiquement, du point de vue de la richesse, le rayonnement du soleil se distingue par un caractère unilatéral : il se perd sans compter, sans contrepartie. L'économie solaire est fondée sur ce principe. D'habitude, si l'on envisage notre économie terre-à-terre, on s'isole. Mais celle-ci n'est qu'une conséquence de celle-là qui l'engendre et la domine.
Si nous nous efforçons de saisir, à partir de ce principe, les mouvements économiques qui nous animent, nous apercevons en même temps l'excès de la production sur l'énergie nécessaire et l'effet général de cet excès : si nous produisons davantage que nous n'avons dépensé pour produire, l'excès d'énergie produit doit se retrouver de quelque façon. S'il est utilisé, cela ne peut être qu'à une croissance du système qui l'a produit. Sinon il doit être détruit. Cette énergie en jeu dans notre activité n'est pas, quoique nous l'oubliions, libérée de ses origines. Ce qu'elle opère en nous n'est qu'un passage. Nous pouvons arrêter les rayons solaires mais pour un temps. L'énergie solaire que nous sommes est une énergie qui se perd. Et sans doute nous pouvons la retarder, mais non supprimer le mouvement qui veut qu'elle se perde. Le système dont nous sommes partie peut arrêter le rayonnement s'il l'accumule en croissant, mais il ne peut croître sans fin. En un point donné du temps, quand la croissance du système atteindra sa limite, l'énergie captée ne pourra que reprendre sa course et se perdre. Le rayon solaire que nous sommes retrouve à la fin la nature et le sens du soleil : il lui faut se donner, se perdre sans compter. Un système vivant croît, sinon se prodigue sans raison.

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