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Monday 18 July 2016

Publication de "Verlaine" par Laurent Tailhade

Publié aux éditions Solstices, le texte de Tailhade sur Verlaine est un régal pour l'amateur de littérature "fin de siècle".


La postface que nous publions ci-dessus a été rédigée par Rodolphe Gauthier.

 


S'il fut poète, marqué par l'élégance du Parnasse qu'il condamne pourtant ici, c'est surtout en tant que polémiste et pamphlétaire qu'on se rappelle de Laurent Tailhade. C'est qu'il est aussi une figure importante du panthéon anarchiste, dont les adeptes transmettent passionnément la mémoire et les légendes. Son intransigeance rare fut sans défaut. Il fit de la prison pour provocation au meurtre, entre octobre 1901 et février 1902, après avoir écrit un article dans Le Libertaire sur Nicolas II en visite à Paris... Mais on aime surtout rappeler un épisode terrible de sa vie survenu plus tôt, en 1894. Alors qu'il dînait au restaurant Foyot, il fut victime d'un attentat anarchiste à la suite duquel il perdit un œil. Mais cette mésaventure n'entama pas le moins du monde ses convictions : il ne cessait de faire l'apologie de la violence, comme l'expression la plus pure, la moins morale, c'est-à-dire la moins contrainte par l'hypocrisie de la société, de l'énergie de l'individu. Il ne renia pas des convictions qui lui faisaient proclamer, le soir de l'attentat de Vaillant, en 1883 : « Qu'importent les victimes, si le geste est beau ! Qu'importe la mort de vagues humanités, si par elle s'affirme l'individu ! » Certainement il ne faut pas voir dans ces paroles le triomphe du cynisme, mais bien plutôt une limpide conception – qui touche à la vision – de l'absurdité de la vie, de l'absurdité de l'humanité, où seule l'expression viscérale – le cri des viscères – pouvait manifester l'existence particulière.
On retrouve ces trois grandes tendances dans Verlaine : la satire, la pureté, la mort. La satire en tant que virulence et violence ; la pureté en tant que forme dépouillée de tout artifice (la « Beauté » plus que le « Néant ») ; la mort, enfin, qui innerve ce texte et rejaillit ici et là avec mélancolie, parfois même avec une tendresse étonnante. C'est sans doute ce sentiment de la mort qui viendra finalement polir une fureur qui l'avait si longtemps fait vivre, et qui, comme chez d'autres, devait se muer, dans la dernière décennie de sa vie, en une foi qui, malgré tout, entame in extremis cette légendaire intransigeance...
Né le 16 avril 1854 à Tarbes, mort le 2 novembre 1919 à Combs-la-ville, il avait subi le joug de sa famille de magistrats conservateurs, épousé une femme et attendu sa mort avant de mener la vie de bohème à Paris. Travailleur acharné, duelliste inlassable, provocateur tout aussi infatigable, écrivain et journaliste prolixe qui prit le temps de traduire Le Sartyricon de Pétrone en 1902, puis les Trois Comédies en 1905 et La Farce de la marmite en 1909 de Plaute, il avait été dreyfusard, proche de Zola qui le défendit, au nom de la liberté d'expression, quand il avait appelé au meurtre du tzar et dont il prononce le panégyrique lors de ses funérailles. Par cette foi in extremis, par son anarchisme, par son goût du latin et du duel, il fut pleinement un homme fin-de-siècle. Et Verlaine est surtout la peinture de ce monde littéraire fin-de-siècle. Tableaux de la vie littéraire sous les augures de Verlaine qui sont aussi ses mémoires. Témoin direct ayant fréquenté pendant trente ans la plupart des protagonistes ayant séjourné à Paris, nous rencontrons, outre les grands noms (Rachilde, Mallarmé, Moréas, Leconte de Lisle, Sully-Prudhomme, France, Montesquiou, Coppée ou encore le triste Maurras), les figures dites mineures de cette époque que l'on aime actuellement faire revivre : Ernest Raynaud, Rodo (à qui il dédie Quelques Fantômes de jadis), Émile Goudeau, Marie Krysinska, Gustave Kahn, Rollinat, Rodolphe Salis, Anatole Baju, Fernand Icres, Léon Cladel, Edmond Haraucourt, Mac-Nab, Emmanuel Signoret, Mathias Morhardt, Édouard Rod, Henri Cazalis, Charles Vignier, Rodolphe Darzens, Louis Veuillot, Marguerite Burnat-Provins, Alfred Vallette, Gabriel Vicaire, Marcel Legay, Pierre Quillard, Édouard Dubus, Gabriel Aurier, Albert Samain... Il rend toute son importance – non sans une ironie amicale – à Marie Krysinska, « la verseuse de Chopin », qui fut avec Gustave Kahn, l'inventrice du vers libre, et auprès de qui «  Rollinat avait appris à méditer sur la fragilité de l'humaine plasmature ». Il rend hommage à ses amis comme à ses ennemis en leur faisant le cadeau d'un portrait-charge, d'une remarque ironique, d'une simple occurrence. La satire est comique, la critique, si elle est parfois cinglante, est la plupart du temps savoureuse, et amicale, et l'humour, franc ou noir (comme lorsqu'il évoque le « petit cénacle des Hydropathes ou buveurs d'eau, fondé par Émile Goudeau, qui mourut alcoolique »), l'emporte sur la diatribe.
Ironie, critique acerbe, humour, et enfin mélancolie prégnante. L'évocation du temps qui passe marque le texte d'une tristesse insolite. Ainsi, les allusions à Édouard Dubus et de Gabriel Aurier, morts trop jeunes, et la commémoration d'Albert Samain, poète aujourd'hui à peu près oublié et qui revient chez Tailhade avec insistance, cristallisent cette perte inéluctable de la vitalité en tant qu'énergie. « Il mourut jeune, à quarante-deux ans, aimé des Dieux, sans doute, puisqu'un baiser de la Gloire vint fermer ses paupières et qu'il n'eut pas la douleur de survivre aux rimes en fleurs de ses vingt ans. » Albert Samain est l'une des rares figures épargnée par l'ironie systématique du polémiste. Il symbolise une pureté presque religieuse.
Car si les marques de cette conversion finale de Laurent Tailhade reste, dans ce texte, discrète, nous en relevons cependant des traces à la fois dans la tonalité (notamment l'envolée finale) et plus sûrement encore à travers deux références : Louis Veuillot, catholique engagé, et Antoine de Rivarol, royaliste. Elle n'entame pas son anarchisme qui devient, comme chez Tolstoï, un anarchisme chrétien.
Il y a tout dans ce texte : du phrasé abondant fin-de-siècle, qu'on aime dénigrer aujourd'hui en public, mais dont on s'encanaille en privé, au mépris des conventions littéraires, le comique et le pathétique, le majeur et le mineur, le cruel et le tendre, l'anarchie et l'éveil à une spiritualité religieuse. La haine de l'hypocrisie est restée constante chez l'auteur de Imbéciles et gredins (1900), et le mot « bourgeois », qu'il appelle « mufle » (Au pays du mufle, 1901), cristallise toutes les attaques. Mais il échappe aux généralités vides en stigmatisant des comportements bien précis. On ne le dit pas assez : Tailhade, en plus d'être pamphlétaire et polémiste, et même avant cela, est un vrai moraliste. C'est un moraliste de la fin du XIXe siècle, qui aime donner une forme directe, franche et concrète à ses remarques, un moraliste qui s'intéresse à l'ordre des représentations, et qui s'amuse à le renverser : « Mais l'animadversion des pleutres, la haine des lâches et des imbéciles, tant de mensonges accumulés grandissaient encore à nos yeux ce revenant de la douleur et de l'exil » dit-il pour Verlaine.
Car c'est, enfin, tout de même, un hommage du disciple au maître disparu. La présence de Paul Verlaine est presque furtive, mais elle est tutélaire. Le « maître » survole tout le texte et lui donne un sens esthétique et un sens ontologique : Verlaine est, « sans distinction de parti ou de doctrine, épris d'un art si neuf, de ce lyrisme ardent et pur ». Il ne s'agit pas simplement d'admiration, mais d'une véritable vénération : « Paul Verlaine, le plus grand poète du XIXe siècle, sans excepter Victor Hugo ! » Pour Tailhade, le XIXe siècle est le siècle de Paul Verlaine. Bien avant Antoine Adam par exemple, et de manière beaucoup plus concise, Tailhade propose une image claire et précise de qui était Verlaine et de ce qu'il représente : « Nul être humain ne fut, plus que Verlaine, spécialisé dans sa fonction. Ce fut un poète, et rien de plus. Ronsard, Victor Hugo, Jean Racine mêlent à leurs dons lyriques d'admirables facultés oratoires. Ce sont de merveilleux rhéteurs, d'incomparables avocats. Verlaine est tout en cris, en effusions passionnées. Il délire, il se meurt, il se pâme, transverbéré d’amour. / Poète admirable et spontané, il n'a que faire d'un travail soutenu. On l'imagine malaisément assis devant sa table, à des heures méthodiques, et reprenant le lendemain sa tâche de la veille. / La bohème, le désordre, la godaille populacière étaient le milieu propice à son génie. Il vivait naturellement parmi la crapule et trouvait, à l'assommoir, ses grâces les plus tendres, ses rythmes les plus purs. Il écrivait Green et couchait dans le ruisseau. Ce lys, naturellement, prospérait dans le fumier. » Rien que cette intelligence – cette richesse et cette délicatesse dans la nuance, ce regard vigoureux et implacable, feraient déjà de Tailhade un écrivain incontournable.

Wednesday 27 April 2016

Alain Sebag ~ Le Troisième Cercle (ebook)

 Les éditions Solstices sont heureuses de vous présenter leur nouveau ebook, dans la collection "Les érotiques" :

Le Troisième cercle, d'Alain Sebag.



La préface a été écrite par Hélène Leblanc :

"Un roi, au faîte de sa puissance, entreprend une quête initiatique qui le mène au-delà des objets qui la scandent, de la cité assiégée et de ses trésors. Pour atteindre le troisième cercle, Uriel est aidé de son astrologue, double de lui-même, et de trois reines, dont l’entrée en scène signe le début de l’histoire. La quête est amoureuse et les actes sexuels sont autant d’épreuves qualifiantes pour le héros.
Comme il retrouve là tous les éléments morphologiques du conte, le lecteur est aussi frappé par l’amoncellement des topoi du récit érotique : trois femmes qui se vêtent (ou se dévêtent) tour à tour et aussi bien à l’image d’une call-girl qu’à celle d’une Salammbô, un roi-guerrier inépuisable, les descriptions acrobatiques des parties de plaisir du quatuor amoureux.
L’exotisme démesuré qui teinte l’ensemble du récit unifie et fusionne les deux genres. Il y a d’un côté l’exotisme antiquisant et indubitablement oriental des décors, qui fait du roi Uriel un barbare. D’un autre côté, et comme en réponse, les trois reines accueillies dispensent chacune le parfum d’une étrangeté singulière. Dépositaires d’une sagesse inconnue d’Uriel, elles gardent la nostalgie d’une Europe maternelle et grecque, dont elles illustrent les diverses nuances. À Veunize, la reine rousse, revient l’exotisme de l’érotisme vénitien. Elzeunor l’évanescente est une celte, un mystère tout droit venu des légendes arthuriennes. La géante Odelind évoque les ondines rhénanes et les amazones wagnériennes.
Là où l’on pourrait être irrité par la profusion des clichés, le tour de force de Sebag est de leur redonner leur mobilité. Pour tenir ici l’exemple paradigmatique des trois femmes, alors que leurs noms mêmes travaillent à leur donner une identité exotique objective, celle-ci à peine affirmée cesse aussitôt de les caractériser. Et elles pourront incessamment s’échanger les attributs, leurs couleurs et tout ce qui les rend désirables au regard de l’homme. Parce qu’elles sont en définitive la même, leur exotisme individuel est plutôt à considérer comme une offrande qu’elles versent dans un décor syncrétique. Dans l’amalgame des mythologies, l’Orient du tantrisme et les fantasmes érotiques les plus occidentaux se trouvent entremêlés, comme le sont également l’initiation de Siddharta et le conte de fées à la Perrault.
Le récit initiatique prend ainsi tout son sens dans ce jeu d’identités fluctuantes, qui finit par contaminer jusqu’à la dualité masculin/féminin, qui paraissait infranchissable au début du texte. Mais c’est aussi la structure même du conte qui est modifiée par une telle redistribution des rôles. Les reines perdent ainsi peu à peu leur fonction d’adjuvant omniscient et plus ou moins imperturbable – même dans la jouissance – pour devenir, au fur et à mesure de leur relation amoureuse avec Uriel, actrices de l’histoire, véritables protagonistes d’une relation dans laquelle elles ont accepté de se mettre en danger.
L’interchangeabilité, la répétition et le caractère mouvant des identités, qui caractérisent traditionnellement le récit érotique, deviennent ainsi un puissant indicateur de la transformation psychologique d’Uriel, dont l’orgueil parfois misogyne et en tout cas prisonnier d’idéaux figés de la beauté féminine, sera brisé dans la relation charnelle avec les trois femmes.
Ce roi sans âge, espèce d’Alexandre au bout de sa conquête ou de Giovanni Drogo attendant les Tartares, apprend ainsi peu à peu à se détacher de lui-même et à emprunter à l’ensemble des personnages qui l’entourent un peu de leur force et de leurs caractéristiques. Cette cohérence profonde de genres pourtant hétéroclites donne au texte de Sebag sa force, et fait que ce n’est jamais le récit initiatique qui est prétexte à la description érotique mais plutôt celle-ci qui est l’instrument de celui-là."






Monday 1 February 2016

Amelia Rosselli 1930~1996 | 20 ans | Anthologie en ligne | revue Scree

Amelia Rosselli 2016 ~ revue Scree

À l'occasion des 20 ans de la disparition de la poétesse italienne Amelia Rosselli (1930-1996), les éditions Solstices publient un numéro spécial de la revue multilingue de poésie "Scree", dirigée par Rodolphe Gauthier


Monday 4 January 2016

Amelia Rosselli ~ Hommage à l'occasion des vingt ans de sa disparition

À l'occasion en février des vingt années de la disparition tragique d'Amelia Rosselli (1930-1996),
Les éditions Solstices préparent un numéro spécial de la revue en ligne Scree à sa mémoire.
Extraits (dont des inédits en français), témoignages, photographies, poèmes en guise d'hommages, seront au sommaire.
Si vous voulez participer, à votre manière, à cette célébration,
merci de nous envoyer vos propositions avant le 15 janvier 2016.
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In occasione del ventennale della tragica scomparsa di Amelia Rosselli (1930-1996),
nel mese di febbraio Les éditions Solstices preparano un numero speciale della rivista on line Scree dedicato alla sua memoria.
Nel sommario figureranno estratti (alcuni inediti in francese), testimonianze, fotografie, poesie in suo omaggio.
Se volete partecipare con un vostro contributo a questa celebrazione,
vi preghiamo di inviare le vostre proposte entro il 15 Gennaio 2016.

Thursday 3 December 2015

Materia ~ Yann Legrand // Rodolphe Gauthier

(disponible ici)

Gravures en taille douce de Yann Legrand. Poèmes de Rodolphe Gauthier.
Typographie au plomb mobile (Caravelle C.12),
sur du papier hahnemühle 300g.
Avec le concours de Christine Vandrisse.




Ce livre se présente comme une expérience de la matière (ou plutôt des matières)
par le texte et l'image.
C'est-à-dire que l'image et le texte ne sont pas des illustrations réciproques,
ne dépendent pas l'un de l'autre,
mais exposent deux approches (qui sont deux pratiques) des états de la matière.

Nous avons choisi dix états, que nous avons investi chacun à notre manière.
Ce n'est pas essentiel pour le lecteur de savoir précisément quels sont ces états (même pour nous, ils portent plusieurs noms) : autant dans l'image que dans le texte, les indices – qui sont en fait des empreintes – sont visibles/lisibles.





La matière n'est pas un mythe, elle ne présente pas de narration.
Autant la poésie, en tant qu'expérience de la matière langage, ne se farde pas d'anecdotes,
autant la gravure, en tant que résultat d'un processus matériel, ne s'ordonne pas non plus en histoires.
Dans les mots autant que dans les formes (langage visuel, langage textuel), ce sont les jeux de fusion, dissolution, tension, broyage, cristallisation, entaillage, oxydation, érosion, émiettement, qui nous fascinent, de la particule (spin) à la poussière (les résidus).
Un jeu de forces à la fois, donc, minimal et baroque que le lecteur-spectateur peut, à loisir, contempler (si la contemplation est encore possible), observer (analyser) ou, bien sûr, s'approprier.

Pour cela, il était hors de question de choisir une impression offset qui privilégie l'aseptisation aux aspérités, qui propose le mensonge d'une transcendance de la matière par la négation de la tâche humaine (en voulant abolir le hasard). À la machine autonome, nous avons préféré l'apprentissage de la main ; à l'imprimante, la presse à épreuve typographique ; à la platitude, le foulage ; et au papier glacé, ce beau papier hahnemühle.


Thursday 27 August 2015

Guillevic ~ extrait de "Carnac"

Sans toi d'ailleurs, soleil,
La mer serait encore
Cognant à l'infini,
Mais alors dans ce noir

Qu'on suspecte la mer
De vouloir devenir

Quand tu es là,
Soleil.