Le Troisième cercle, d'Alain Sebag.
La préface a été écrite par Hélène Leblanc :
"Un roi, au faîte de sa puissance, entreprend une quête initiatique qui le mène au-delà des objets qui la scandent, de la cité assiégée et de ses trésors. Pour atteindre le troisième cercle, Uriel est aidé de son astrologue, double de lui-même, et de trois reines, dont l’entrée en scène signe le début de l’histoire. La quête est amoureuse et les actes sexuels sont autant d’épreuves qualifiantes pour le héros.
"Un roi, au faîte de sa puissance, entreprend une quête initiatique qui le mène au-delà des objets qui la scandent, de la cité assiégée et de ses trésors. Pour atteindre le troisième cercle, Uriel est aidé de son astrologue, double de lui-même, et de trois reines, dont l’entrée en scène signe le début de l’histoire. La quête est amoureuse et les actes sexuels sont autant d’épreuves qualifiantes pour le héros.
Comme
il retrouve là tous les éléments morphologiques du conte, le
lecteur est aussi frappé par l’amoncellement des topoi du
récit érotique : trois femmes qui se vêtent (ou se dévêtent)
tour à tour et aussi bien à l’image d’une call-girl qu’à
celle d’une Salammbô, un roi-guerrier inépuisable, les
descriptions acrobatiques des parties de plaisir du quatuor amoureux.
L’exotisme
démesuré qui teinte l’ensemble du récit unifie et fusionne les
deux genres. Il y a d’un côté l’exotisme antiquisant et
indubitablement oriental des décors, qui fait du roi Uriel un
barbare. D’un autre côté, et comme en réponse, les trois reines
accueillies dispensent chacune le parfum d’une étrangeté
singulière. Dépositaires d’une sagesse inconnue d’Uriel, elles
gardent la nostalgie d’une Europe maternelle et grecque, dont elles
illustrent les diverses nuances. À Veunize, la reine rousse, revient
l’exotisme de l’érotisme vénitien. Elzeunor l’évanescente
est une celte, un mystère tout droit venu des légendes
arthuriennes. La géante Odelind évoque les ondines rhénanes et les
amazones wagnériennes.
Là
où l’on pourrait être irrité par la profusion des clichés, le
tour de force de Sebag est de leur redonner leur mobilité. Pour
tenir ici l’exemple paradigmatique des trois femmes, alors que
leurs noms mêmes travaillent à leur donner une identité exotique
objective, celle-ci à peine affirmée cesse aussitôt de les
caractériser. Et elles pourront incessamment s’échanger les
attributs, leurs couleurs et tout ce qui les rend désirables au
regard de l’homme. Parce qu’elles sont en définitive la même,
leur exotisme individuel est plutôt à considérer comme une
offrande qu’elles versent dans un décor syncrétique. Dans
l’amalgame des mythologies, l’Orient du tantrisme et les
fantasmes érotiques les plus occidentaux se trouvent entremêlés,
comme le sont également l’initiation de Siddharta et le conte de
fées à la Perrault.
Le
récit initiatique prend ainsi tout son sens dans ce jeu d’identités
fluctuantes, qui finit par contaminer jusqu’à la dualité
masculin/féminin, qui paraissait infranchissable au début du texte.
Mais c’est aussi la structure même du conte qui est modifiée par
une telle redistribution des rôles. Les reines perdent ainsi peu à
peu leur fonction d’adjuvant omniscient et plus ou moins
imperturbable – même dans la jouissance – pour devenir, au fur
et à mesure de leur relation amoureuse avec Uriel, actrices de
l’histoire, véritables protagonistes d’une relation dans
laquelle elles ont accepté de se mettre en danger.
L’interchangeabilité,
la répétition et le caractère mouvant des identités, qui
caractérisent traditionnellement le récit érotique, deviennent
ainsi un puissant indicateur de la transformation psychologique
d’Uriel, dont l’orgueil parfois misogyne et en tout cas
prisonnier d’idéaux figés de la beauté féminine, sera brisé
dans la relation charnelle avec les trois femmes.
Ce roi sans âge, espèce
d’Alexandre au bout de sa conquête ou de Giovanni Drogo attendant
les Tartares, apprend ainsi peu à peu à se détacher de lui-même
et à emprunter à l’ensemble des personnages qui l’entourent un
peu de leur force et de leurs caractéristiques. Cette cohérence
profonde de genres pourtant hétéroclites donne au texte de Sebag sa
force, et fait que ce n’est jamais le récit initiatique qui est
prétexte à la description érotique mais plutôt celle-ci qui est
l’instrument de celui-là."
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